Education au Burkina Faso : Quelles compétences professionnelles des enseignants pour une école burkinabè de qualité ?
Résumé
Dans un précédent article paru dans espace scientifique (2017), nous avons défini le profil de l’élève à former en vue du transfert des acquis scolaires au Burkina Faso. Partant donc de ce profil, il s’agira dans cette recherche de définir, dans les grands axes, le profil de l’enseignant compétent à former. En effet, pour former des élèves compétents à la fin de l’enseignement de base, il faut d’abord former des enseignants compétents qui sont les principaux acteurs de la chaine éducative. Quelles compétences professionnelles des enseignants pour le réinvestissement des acquis scolaires au Burkina Faso ? C’est à cette question que tente de répondre cette recherche.
Introduction
La société burkinabè a traversé au cours des dernières années une série de phénomènes (soulèvement populaire, terrorisme, grèves des agents de la fonction publique). L’école burkinabè, subissant profondément les contrecoups de ces changements, s’est vue interrogée tant dans sa mission que dans son fonctionnement. Ces différents changements opérés dans la société engendrent les tensions nouvelles et font en même temps évoluer de façon importante le travail du maître dans les classes. Le maître a le devoir de former des élèves utiles, des élèves compétents qui font développer le pays par le transfert des acquis scolaires. Si le travail du maître doit évoluer, il faut aussi que le dispositif de formation du maître évolue. Ce nouveau travail du maître exige le développement de compétences professionnelles de haut niveau qui ne peuvent être acquises au gré des essais et erreurs mais doivent plutôt être apprises systématiquement au cours de la formation initiale et continue. Il semble alors nécessaire de repenser l’école et de faire évoluer le travail des enseignants vers une formation plus pragmatique, un enseignement ancré dans la réalité fournissant aux élèves les outils nécessaires pour les rendre autonome dans leur capacité à apprendre tout au long de leur vie.
Au Burkina Faso, les enseignants du primaire sont formés dans les Écoles Nationales de formation des Enseignants du Primaire (ENEP). Au regard du contexte actuel et surtout du type d’élève à former (un élève transféreur des acquis scolaires), le pays doit revoir le dispositif de formation initiale et continue des enseignants pour former des maîtres nouveaux, des maîtres compétents. Un proverbe dit qu’on ne peut pas donner ce que l’on n’a pas. En effet, si l’enseignant n’est pas compétent, il ne pourra pas former des élèves compétents. Quel doit être alors le profil du maître capable de former des élèves qui réinvestissent les acquis scolaire? Comment l’enseignant doit-il s’y prendre face à des apprentissages en pleines mutations ? Que doit-il faire face à des apprenants de plus en plus diversifiés ? Tels sont en substance les questions que nous tenterons d’éclaircir dans les parties subséquentes par la description du profil d’enseignant compétent.
1- Un enseignant organisateur et animateur des situations d’enseignement-apprentissage
L’enseignant compétent est celui qui doit être capable d’organiser et animer des situations d’enseignement-apprentissage. Cette compétence consiste dans la capacité à pouvoir contextualiser les apprentissages en classe. En effet, la contextualisation consiste à la capacité de présenter aux élèves des situations réelles ancrées sur leur pratique de tous les jours. Pour ce faire, l’enseignant doit recourir à des activités de recherches, des jeux, des travaux de groupes, d’exercices d’application ou encore à des problèmes complexes et authentiques. Par conséquent, les enseignants doivent maîtriser les contenus d’enseignement avec suffisamment d’aisance. Un enseignant qui par exemple se contente de lire son cours devant des élèves éprouvera beaucoup de difficultés à recourir à des situations authentiques. Ce sera une leçon sans vie et par conséquent sera oubliée. Les élèves n’auront aucune trace mnésique de quoique ce soit à réinvestir.
Organiser et animer des situations d’enseignement-apprentissage, consiste aussi à maîtriser impérativement les disciplines d’enseignement afin de pouvoir être à même de contextualiser le contenu, répondre aux questions, donner des exemples. Une chose est sure, un enseignant qui ne maîtrise pas le contenu enseigné n’est pas à l’aise et fait tout pour ne pas impliquer ses élèves dans les apprentissages en classe craignant de laisser apparaitre sa non maîtrise. Les enseignants non seulement doivent maîtriser les concepts de chaque discipline dans la langue d’enseignement qui est le français mais aussi dans la langue locale. En effet, Il y a des différences linguistiques, des termes qui n’ont aucune équivalence entre nos langues locales et le français langue d’enseignement. Les enseignants doivent maîtriser ces différences linguistiques et avoir une maîtrise suffisante de la langue locale afin de pouvoir enseigner, surtout expliqué aux élèves de l’école primaire.
Enfin, « organiser et animer des situations d’enseignement apprentissage », c’est être capable de formuler les objectifs pédagogiques de façon claire et précise. Cet aspect est très important dans le deuxième processus de la dynamique du réinvestissement des compétences de Tardif (1999) qui est la représentation de la tâche cible. Lorsque les enseignants présentent des tâches cibles aux élèves, il faut que les élèves aient une représentation positive de ces tâches. Pour ce faire, les enseignants doivent bien formuler les objectifs pédagogiques afin que les élèves puissent faire le lien entre ces tâches sources et la vie de tous les jours. Tardif (1999) dira que ce processus est très important parce que c’est grâce à lui que l’individu donne du sens au problème à résoudre. Ce processus permet au transféreur de se créer un modèle mental par rapport au problème à résoudre. Si les « réinvestisseurs » ont une représentation positive des tâches cibles cela les motive à réinvestir. Les enseignants dans ce deuxième processus ont le devoir de rendre la situation intéressante pour que les élèves soient motivés. Lors de la préparation de la situation d’enseignement-apprentissage, il faudra veiller à susciter une représentation positive des tâches notamment en définissant les objectifs du cours de manière attrayante. L’ensemble des critères de réussite ainsi que les objectifs seront clairs, communiqués de manière à être compris par tous les élèves.
2. Un enseignant capable de gérer la progression des apprentissages
Cette deuxième compétence est celle de pouvoir gérer la progression des apprentissages. En effet, dans une classe les élèves n’abordent pas les situations avec les mêmes moyens et ne rencontrent pas les mêmes obstacles. Il y a des élèves qui apprennent plus vite que d’autres et l’enseignant doit pratiquer du soutien personnalisé, travailler avec les élèves ayant un problème pour identifier les causes des difficultés rencontrées et y remédier. Donc gérer la progression des apprentissages consiste à prendre les élèves là où ils sont et de les mener un peu plus loin. Autrement dit c’est « proposer des situations offrant des défis qui poussent chacun à progresser, tout en restant à sa portée, donc mobilisatrice ». (Perrenoud, 1999 : 45). Il faut reconnaitre que proposer des situations-problèmes adaptées à chaque élève en fonction de ses difficultés n’est pas une chose facile. Cela implique que l’enseignant soit vraiment formé à la technique de l’ajustement des situations-problèmes au niveau et aux possibilités des élèves. L’enseignant doit certes adapté l’enseignement au niveau de chaque élève mais il doit aussi adapté l’enseignement au niveau de la classe.
Gérer la progression des apprentissages consiste aussi à enseigner en ayant une vision longitudinale des objectifs pédagogiques poursuivis. C’est une compétence très importante qui favorise le transfert. En effet, il n’est pas rare de voir que des enseignants d’une discipline scolaire donnée ignorent totalement les contenus et les objectifs de la même discipline dans une autre année scolaire. Cet isolement professionnel fait que lorsque les élèves changent de niveau scolaire, l’enseignant ignore très souvent les apprentissages déjà réalisés par les élèves. Cet état de fait nuit à la transférabilité des apprentissages puisque l’enseignant ne tiendra pas compte de l’encodage des apprentissages déjà en place lors de la préparation de la situation d’enseignement-apprentissage de tel sorte que les nouvelles connaissances puissent se relier aux anciennes connaissances déjà indexées en mémoire. Mais si l’enseignant lui-même ignore les connaissances déjà indexées dans la mémoire des élèves, comment pourrait-il aider les élèves à faire le lien entre les nouvelles et les anciennes connaissances ? Il est vrais qu’à l’école primaire, il y a un enseignant par classe mais plusieurs enseignants d’une même école, travaillent en solitaire et ne cherchent pas à connaître les objectifs et les contenus des enseignements des autres classes. Ils ne s’intéressent qu’à leur classe, celle dont ils sont responsables. Pour Tardif (1999) cette manière individualiste de se comporter des enseignants nuit à la transférabilité des apprentissages. Mais avec le continuum éducatif qui a été mis en place au Burkina Faso, les enseignants du primaire doivent connaître les objectifs des cours au niveau du post primaire et aussi connaitre le référentiel de compétences des élèves à la fin de l’enseignement de base afin de pouvoir gérer la progression des apprentissages. Les enseignants de l’école primaire trop souvent, se contentent de leur seule classe or l’idéal serait de collaborer avec les enseignants des autres classes dans le souci de préserver l’esprit des compétences. L’esprit des compétences consiste à donner l’enseignement tout en ayant une idée des objectifs et des contenus enseignés dans les autres classes. L’esprit des compétences c’est aussi donner son enseignement tout en ne perdant pas de vue le référentiel des compétences requis à la fin de l’enseignement de base. Enfin, l’esprit des compétences c’est donner son enseignement tout en recourant à des projets, à des activités de recherches, où encore à des problèmes complexes et authentiques. Il en va de même pour les enseignants du post-primaire qui se contentent très souvent d’enseigner seulement leur discipline sans se soucier de faire le lien avec les autres disciplines et avec le référentiel de compétences. C’est ce qui a emmené sans doute Perrenoud à dire que :
« l’enfermement de chacun dans son programme conduit selon les cas, à une forme d’acharnement pédagogique ou à un acte de foi dans un avenir d’autant plus rose qu’on suppose que quelqu’un plus tard se saisira des problèmes irrésolus et fera le nécessaire. Cet enfermement empêche de distinguer l’essentiel, la construction de compétences de base de mille apprentissages notionnels et ponctuels qui ne constituent pas des enjeux majeurs. » (Perrenoud, 1999 : 34)
Le travail en équipe est favorable dans la maîtrise des progressions sur plusieurs années. Cependant, il ne suffit pas d’avoir une simple petite idée sur les objectifs des autres disciplines pour pouvoir faire le lien entre toutes les disciplines. Cela nécessite une véritable formation à la technique de l’interdisciplinarité.
3-Un enseignant qui maitrise les TIC
La capacité de se servir des nouvelles technologies aujourd’hui relève de l’ordre d’une nécessité. Les technologies de l’information sont nécessaires pour la qualité des apprentissages. En effet, de nos jours les documents sont plus accessibles en version numériques qu’en version papier. Un enseignant qui ne sait pas faire des recherches sur le Net comment peut-il rapidement se renseigner, se tenir au courant ou se cultiver ? Or un enseignant inculte, qui ne fait pas régulièrement des recherches pour s’adapter aux réalités ne peut guère préparer une bonne situation d’enseignement apprentissage parce que les élèves auront, pour certains, une longueur d’avance sur lui et par conséquent, il perdra un peu la face s’il n’a pas les ressources nécessaires pour transformer son ignorance en un jeu pédagogique.
Conclusion
L’éducation est confrontée de nos jours à plusieurs enjeux. L’enseignant qui est le vecteur par excellence de cette éducation n’est pas en reste. C’est ainsi que l’enseignant doit faire preuve de pragmatisme et d’innovation. Dans cette optique, il doit pouvoir contextualiser ses enseignements suivants des objectifs bien précis. Cela passe par une bonne maîtrise de ses propres modules d’enseignements mais aussi de ceux de ses paires afin de faciliter l’encodage des savoirs par les apprenants. Ainsi l’enseignant doit avoir une vision longitudinale des objectifs pédagogiques tout en créant des situations-problèmes avec ses élèves. Bref, un enseignant compétent est celui qui doit pouvoir organiser et animer des situations d’enseignement-apprentissage, gérer la progression des apprentissages et faire preuve d’une maîtrise de l’outil informatique.
Dr POUSSOGHO Nowenkuum Désiré, chargé de recherche en sciences de l’éducation/INSS/CNRST
Bibliographie
Ministère de l’Éducation Nationale et de l’Alphabétisation (2012). Programmes de développement stratégique de l’éducation de base (PDSEB), Ouagadougou
Perrenoud P. (1997). Construire des compétences dès l’école, Paris, ESF
Perrenoud P. (1999). Pédagogie différenciée : des intentions à l’action, Paris, Éditions sociales Françaises
Tardif J. (1998). Intégrer les nouvelles technologies de l’information, Paris, ESF
Tardif J. (1999). Le transfert des apprentissages, Montréal, éditions logiques